Par Jason Pellouchoud, étudiant à la HEP VS
Jason.pellouchoud@students.hepvs.ch
Me basant sur une séquence d’enseignement portant sur l’annotation et la mise en voix de poèmes contemporains, j’ai d’abord travaillé avec les élèves la dimension orale de la poésie. Dans une première séance, ces derniers découvrent un contenu musical. Ils ont pour consigne de s’intéresser aux variations perçues. L’exercice se révèle pertinent dans la mesure où ils identifient notamment des changements de rythme et d’intensité. Ils découvrent ensuite une partie de la musique écoutée sous forme de partition écrite. Il s’agit alors de mettre en évidence les annotations musicales permettant de rendre compte des variations entendues.
En fin de séance, je demande aux élèves s’ils observent de telles variations dans les musiques qu’ils écoutent. Les discussions s’engagent, les conclusions paraissent unanimes : les variations musicales et vocales sont omniprésentes et porteuses de sens dans les morceaux qu’ils aiment. Ne me reste qu’à présenter mon projet, la création d’un texte poétique mis en voix et en musique. Pour les motiver à s’impliquer et les inspirer, des exemples audios d’artistes contemporains et plus anciens sont diffusés, de Brel à Nekfeu.
Si la motivation semble au rendez-vous, des craintes naissent. Une élève me demande si cela est réellement possible à leur niveau. Nous verrons ! Il s’agit d’abord, lors d’une autre séance, de présenter un code d’annotation commun et de l’expérimenter. Individuellement, les élèves lisent un poème et l’annotent selon leur appréciation. Par groupes, ils confrontent ensuite leurs choix. Cela permet de démontrer que les possibilités interprétatives sont multiples et à même de véhiculer des impressions différentes. Ils tentent aussi de justifier leurs choix auprès de leurs camarades. En guise d’exercice formatif, les élèves tentent finalement d’interpréter le poème en fonction de leurs annotations et le transmettent à l’enseignant via un fichier sonore.
Les résultats sont réjouissants, dans la mesure où les élèves rendent toutes et tous des tentatives variées. J’observe aussi que le passage par le fichier sonore décomplexe. Timides en classes, leurs tentatives de mise en voix enregistrées deviennent plus vivantes, plus excentriques ! Je les encourage à ne pas hésiter à appuyer ces variations.
L’écriture en rafales : un martial outil de création
En parallèle du travail de production orale s’amorce le travail de création poétique à travers des quatre ateliers d’écriture. Trois présenteront des inducteurs d’écriture liés au sens (vue, odorat et ouïe) tandis que le premier proposera une méthode créative : l’écriture en rafales.
Il s’agit de proposer une sorte d’écriture automatique orientée. Pour éviter la page blanche et dans une optique dynamique, nous adaptons le concept. Le principe : l’apprenti écrivain démarre sa création en fonction d’inducteurs divers. Lorsqu’il est à court de cartouches, il reprend un mot ou un groupe de mots rédigés, l’entoure, le charge dans son stylo et reprend. La feuille se noircit par rafales successives. L’élève sélectionne en fin d’atelier les éléments qui lui plaisent. Ces bribes serviront plus tard à rédiger son propre texte. Tout au long de la séquence, je tente l’exercice en même temps que les élèves, ce qui semble les décomplexer.
Dans l’ensemble, la technique fonctionne bien. Il s’agit d’écrire, de noircir du papier sans se soucier de grammaire ou d’orthographe ; voilà qui est inédit ! C’est seulement dans un second temps que la réorganisation des fragments est proposée, en prose ou en vers, pour s’exercer. A la fin d’un atelier, un élève se dit surpris de la vitesse à laquelle est passé le cours. Lorsque je lui demande si ces moments d’écriture lui plaisent, il désigne sa gorge de la main. Il m’explique que les idées lui restent généralement « là » et que les écrire « fait du bien ».
Concernant les inducteurs liés au sens, je reprends l’idée d’une collègue en proposant des échantillons de tisanes (odorat) et des cartes Dixit à tirer au hasard (vue). Il s’agit de produire du texte en se basant sur ces inducteurs et en se servant au besoin de l’écriture en rafales. De mon côté, je prends en charge l’« ouïe ». Les élèves écrivent avec un fond sonore, d’abord commun puis sélectionné individuellement. C’est également l’occasion de présenter des ressources musicales libres de droit permettant d’ajouter un fond sonore à leur production.
Conclusion de la séquence et bilan
Dans la dernière phase de la séquence, les élèves travaillent de façon autonome. Ils construisent en classe leur poème final, l’annotent puis l’enregistrent. Ils doivent également justifier quelques-uns de leurs choix artistiques (annotations et figures de styles). Par cette activité, je veux encourager la mise en place d’un discours sur l’œuvre ; développer cette « rationalité esthétique » évoquée par Rochlitz (1994). De mon côté, je les accompagne, notamment sur le plan technique, et détermine une date butoir. C’est avec une certaine anxiété que j’attends de découvrir les projets des élèves, je ne le cache pas.
Les productions finales, dans leur ensemble, paraissent très intéressantes. Les thématiques, laissées libres, sont variées et l’on sent que de nombreux élèves ont pu s’exprimer d’une manière différente et qu’ils en ont pleinement profité. Bien sûr, certaines productions semblent plus scolaires, stéréotypées, mais je ne peux reprocher à aucun élève de ne pas s’être investi dans la tâche. Chacun y a mis du sien, chacun est parvenu à produire un texte poétique respectant des normes prédéfinies ; mettant ainsi en pratique des connaissances littéraires dont on s’inquiète souvent de la finalité.
Au chapitre des bénéfices concrets de cette séquence, on peut relever : des élèves motivés et impliqués personnellement en tant que lecteurs et en tant qu’auteurs ; des savoirs littéraires mis en pratique ainsi que des textes dont la trace – si elle ne marquera peut-être pas le monde littéraire – aura marqué le jeune enseignant que je suis dans son parcours professionnel et peut-être quelques élèves.
Jason Pellouchoud
Merci à ma collègue Aliocha Blanchet, qui a testé en parallèle ce dispositif.
Bibliographie
- Canvat, K. (2002). De l’enseignement à l’apprentissage de la littérature ou : des savoirs aux compétences. Tréma [En ligne], 19 | 2002, mis en ligne le 01 octobre 2002, Consulté le 06 septembre 2015. URL : http:// trema.revues.org/1587 ; DOI : 10.4000/trema.1587
- Rochlitz, R. (1994). Subversion et subvention. Art contemporain et argumentation esthétique. Paris, Gallimard.
Illustrations
1) Un poème plutôt sombre, « Triste réalité », rédigé et annoté par Marianne*.
2) Un poème rédigé et annoté par Louis qui évoque ses grands-parents.
3) Travail de justification des figures choisies par Isabelle*
4) Travail de justification de ses annotations par Antoine
5) Poème rédigé, interprété et mis en musique par Noémie* (5.1) et Laurence* (5.2) :
! : Les noms accompagnés d’un astérisque (*) sont volontairement modifiés.